Hommage à Alain de POIX

 

Deux ou trois choses que je sais de lui…

Alain de Poix nous a quitté le 27 novembre 2016 à l’âge de 89 ans. Il n’est pas de coutume dans une petite association comme la nôtre de faire des éloges posthumes. La mort, avant tout… C’est la vie ! Chacun suit son chemin et finit son parcours là où c’est écrit.

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Alain au CAP 2009 à LOCTUDY ©JF Le Noel

Pourtant, certaines trajectoires méritent d’être soulignées. Comme des comètes ou des astéroïdes, elles illuminent notre ciel d’une lueur particulière souvent faite de générosité et de don de soi. C’est le cas d’Alain. Je ne sais pas s’il a été décoré par la République. Je ne pense pas qu’il affectionnait les décorations. Son humilité devait l’en tenir éloigné. Mais voilà un garçon qui a droit légitimement et en pleine acceptation à la reconnaissance de ses contemporains.

Oui, Alain était un garçon « hors les gonds de la coutume ». Outre ses qualités humaines qui faisaient de lui un compagnon « charmant » et enrichissant – il fallait écouter ses anecdotes quand il était sous les drapeaux par exemple, anecdotes que je me garderais bien de rapporter ici ! – pour comprendre qu’il avait eu des expériences amusantes et… originales – il avait le sens entrepreneurial et savait vivre ses rêves jusqu’au bout. Voici comment il a raconté lui-même sa découverte du Cap Corse.

« Le « CAP CORSE » a été dessiné en 1956 pour répondre à la demande d’un amateur qui désirait construire un petit voilier de croisière, rapide et élégant. » C’est ainsi que Bernard GODEFROY (CAP CORSE N° 1 construit en 1957) présente le CAP CORSE dans un article publié par la Revue BATEAUX (N° 79 – décembre 1964). Dans cette même Revue, le journaliste, Jacques MONSAULT, complète cette information : « Comme le VAURIEN l’avait fait avant lui, le CORSAIRE a provoqué, lors de son apparition, les demandes de nombreux amateurs séduits par la simplicité apparente de sa construction et qui espéraient pouvoir la réaliser ; mais comme le VAURIEN, le CORSAIRE était prévu pour être construit sur moule, avec le minimum de main-d’œuvre et, de ce fait, seuls les professionnels pouvaient l’entreprendre. (…) Un amateur pourtant insiste, et obtient de Jean-Jacques HERBULOT qu’il dessine un bateau de même programme, mais destiné à la construction en bois moulé à l’unité. C’est le CAP CORSE. » Et cet amateur obstiné, c’est moi ! J’avais moi-même demandé à J.J. HERBULOT, lorsqu’il habitait rue Singer à PARIS, quelques mois après la parution dans LES CAHIERS DU YACHTING (N° 31 de juin 1954), l’autorisation de construire un CORSAIRE, mais il m’avait été répondu à l’époque que sa fabrication était réservée à des chantiers professionnels.

En effet, le CORSAIRE m’avait tout de suite enthousiasmé. Il représentait exactement ce que je cherchais, mais je ne pouvais acheter un bateau neuf à ce moment-là. J’ai donc repris les plans de 20 cm (!) parus dans LES CAHIERS DU YACHTING pour établir de vrais plans « grandeur nature ». J’ai visité et espionné les bateaux qui sortaient des Chantiers de Meulan, puis j’ai préparé un bâti et découpé les couples pour réaliser cette construction.

Pourtant, pour avoir la conscience tranquille vis-à-vis de l’architecte, je suis retourné, fin 1955 – début 1956, avec mes plans « grandeur nature » sous le bras, voir Jean-Jacques HERBULOT dont les bureaux étaient alors rue Fondary (au-dessus de la CIDEVYV) pour la réalisation de mon rêve : UN CORSAIRE… OU RIEN D’AUTRE !

Jean-Jacques HERBULOT était sur le point de se laisser fléchir, mais M. DERKENNE (l’homme de la CIDEVYV qui avait la charge de diffuser les plans d’HERBULOT) est intervenu et s’est opposé à toute dérogation. Il m’a été demandé de patienter encore quelques mois pour que Jean-Jacques HERBULOT puisse étudier la possibilité de dessiner un bateau comparable au CORSAIRE, mais avec une coque en forme et réalisable par un constructeur amateur. Ce qui fut dit, fut fait. Jean-Jacques HERBULOT va intégrer aux structures du bateau les couples et les renforts servant à la construction. Il choisit également la technique moderne du bois moulé pour la coque, technique qui évite la manipulation de pièces de bois trop encombrantes et difficiles à transporter par un homme seul. Qui dit « bois moulé » dit coque à bouchains arrondis, et si Jean-Jacques HERBULOT respecte scrupuleusement les cotes du Corsaire, les lignes d’eau seront différentes ! Alors, il « tire » un peu sur la carène (+ 25 cm), afin que les lignes d’eau des deux bateaux soient absolument identiques ! C’est Jean-Jacques HERBULOT lui-même qui nous l’a expliqué plus tard lors d’un entretien au Salon Nautique de Paris.

Bref, six mois après, je rencontrais à nouveau le célèbre architecte et je faisais l’achat des plans de ce nouveau bateau… auquel il fallait trouver un nom. Un nom qui « sonne » bien et qui rappelle celui du Corsaire. Dans Corsaire, il y a Corse ! Voilà donc tout simplement l’origine du nom d’après Jean-Jacques HERBULOT lui-même. Le bateau s’appellera le « Cap Corse », et sera à l’origine d’une lignée de voiliers, tous conçus pour la construction amateur à l’unité, tels les Cap-Horn, Cap-Vert et autres « Cap » dont j’ai oublié les noms.

Petite anecdote : au cours de cette dernière visite, en me remettant les plans du CAP CORSE, Jean-Jacques HERBULOT s’est posé la question de la numérotation des plans. Voici la scène :

  • Jean-Jacques HERBULOT : On ne va pas commencer au chiffre 1… !
  • Moi : Eh bien, à partir de 100, 101, etc…
  • Jean-Jacques HERBULOT : Ça, c’est un peu excessif, disons 50…

C’est ainsi que le plan qu’il m’a remis et que j’ai conservé, porte le numéro 50 ! C’est le premier plan commercialisé du CAP CORSE.

J’ai, commencé la construction de mon CAP CORSE dans ma chambre (en plein hiver), gérant comme je le pouvais l’encombrement des panneaux de contre-plaqué de 2,25m X 1,50m que l’on découpait, à l’époque, avec une petite « scie de voleur » de 15 cm de long (les scies électriques étaient rares). Il me fallait passer sous la table-établi, les couples et les gabarits pour rejoindre mon lit…! La sciure de bois et le désordre de la chambre ont entraîné très rapidement la femme de ménage à déclarer forfait ! Travaillant donc dans ces conditions précaires, d’autres Cap Corse ont vu le jour avant le mien. »

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Construction d’un Cap Corse ©JY Bouchardon

Ainsi, l’histoire (avec un petit “h”…) est en route. Les n° 01 et 02 seront réalisés avant qu’Alain ai pu sortir le sien qui portera le n° 19 et s’appellera “Alérion”. Le n° 01 portera le nom de “Vent Fou”, nom qui deviendra générique pour les Cap Corse réalisés avec un petit roof, car dès le début Jean-Jacques HERBULOT prévoit deux type de roof : le petit “dog house” mentionné ci-dessus, et le roof de type Corsaire qui souligne la parenté avec son aîné. Un peu plus tard, Jean-Jacques HERBULOT dessinera également un roof dit “classique”, intermédiaire entre les deux précédents, semblable au roof Corsaire, mais réservant des petit passavants de 20/25 cm.

Mêmes lignes d’eau, même plan anti-dérive, même plan de voilure, même plan de pont (pour les types Corsaire), le Cap Corse est vraiment le petit frère du Corsaire et ne reniera jamais sa parenté. C’est d’ailleurs pourquoi l’As Cap Corse a toujours souhaité que les jauges des deux bateaux soient identiques, ce qui est le cas à quelques infimes détails près. Ls deux séries ont donc l’habitude de se rencontrer et de courir en temps réel.

1957 – 2017 : cela fait 60 ans cette année que le Cap Corse n° 1, le « Vent Fou » de Bernard GODEFROY a été mis à l’eau au Lac du Bourdon près de Saint Fargeau en Puysaie. C’est ce lieu de mémoire que l’As Cap Corse a choisi pour organiser la « Coupe Rivière » 2017, la rencontre annuelle des deux séries Corsaire et Cap Corse sur plans d’eau intérieurs.

Voilà donc la belle histoire d’un homme et d’un bateau. Aujourd’hui, ce sont plus de 600 Cap Corse qui ont été construits ou terminés par des amateurs… Probablement un record national ! Alain lui-même s’était relancé dans la construction il y a peu de temps et avait mis à l’eau son troisième Cap Corse « Trois Alérions », le n° 600 !

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Alain sur Trois Alérion avec Titus ©JL Barat

Merci Alain pour ta ténacité, ton enthousiasme, l’aide et l’assistance que tu as toujours apportées à qui en avait besoin. Merci pour ta gentillesse et ta disponibilité. Merci pour tes conseils toujours avisés et astucieux. Nous sommes nombreux à te devoir beaucoup – et ce qui n’est pas le moindre : notre plaisir de naviguer sur un petit croiseur qui nous permet toutes les découvertes, de Bretagne en Méditerranée, d’Espagne aux pays nordiques, d’Angleterre en Grèce, sur la mer, les lacs et les rivières… Grace à toi, notre vie a été plus belle !

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Alain prodiguant ses conseils ©JL Barat

Alain URBAIN, dit TITUS, pour l’As Cap Corse

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Un commentaire pour Hommage à Alain de POIX

  1. Ping : Quelques résultats de la régate, pas encore de la présidentielle…! | Yacht Club du Pecq

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